Les Conversations de l'ENSAV
Par-derrière l’aimable comédie marseillaise,
je ressentis dans Marius une tragédie à l’antique
exprimant le mythe de mon destin...
Edgar Morin, Mes démons.
Au cinéma, le spectateur noue des relations complexes avec l’écran comme avec la salle, mais il est seul dans la confrontation dynamique avec le film. Alors, son corps change de poids, l’esprit vagabonde, le cœur bat la chamade, et un monde s’ouvre en lui. C’est l’aventure esthétique d’une nuit expérimentale où chacun dévoile autant qu’il se dévoile dans le frisson d’un étrange plaisir.
Combien s’en tiennent là qui n’extraient rien de ces singuliers moments, jusqu’à minorer leur goût, puis, sans plus aucune résistance, effacer leur part de vérité. C’est un abandon de la qualité plurielle du film, une croyance en la sainte ligne éditoriale de quelques gazettes éteintes, une atteinte à la démocratie. Certes, l’aveu d’aimer ou de ne pas aimer demeure difficile et l’exercice n’est pas commun de dire les raisons de son émotion et de son plaisir, mais il s’agit du savoir des spectateurs, de quelque chose de leur vie qui est passé là, tout autre chose que ce que les analyses de film en reflètent.
Par conséquent, chaque spectateur est un explorateur solitaire, mais libre, libre d’user de la liberté de dire, avec sa manière, la qualité de ses découvertes, autant de preuves en faveur d’un cinéma qui ne cesse de nous interroger.
Les conversations offrent l’occasion d’en faire l’expérience, mais, quel que soit le film dont nous parlons, il faut savoir s’installer pour accueillir le regard qui nous cherche, abandonner les avis autorisés, les certitudes aveuglantes et parler vrai, dans un ton familier. Alors, chaque spectateur parle de sa traversée filmique, la croise avec celles des autres en vue d’aller des textes personnels à la construction d’un texte pluriel, témoin de l’étendue des rapports que les hommes entretiennent avec le cinéma.
Guy Chapouillié